Traditionnellement, la droite libérale pense le sens de l’effort et la performance collective comme découlant d’une très forte compétition individuelle indissociable d’un processus de reconnaissance et d’ascension ; elle y voit un facteur de dynamisme pour l’ensemble du corps social cependant qu’elle est réticente aux logiques
collectives qu’elle assimile rapidement à du corporatisme.
Si cette posture idéologique s’est accommodée de pragmatisme et de compromis dans notre histoire contemporaine, l’actuel quinquennat marque une rupture : la politique suivie se traduit de façon beaucoup plus radicale, sans craindre de renforcer ou créer clivages et phénomènes de rejet, au nom d’une volonté de faire bouger les lignes, et
d’une conviction que la réforme en découlerait. Cette pensée politique a une cohérence qui va bien au delà du style présidentiel, même si celui ci en accentue délibérément certains aspects à des fins de tactique électorale.
Il est probable que ce discours offensif demeurera et va s’accentuer (on vient de le voir avec le RSA), ne serait ce que pour éviter une campagne ne portant que sur le bilan.
Cette posture sera présentée comme dynamique face à une gauche qui serait montrée comme rétrograde, puisant dans les recettes passées.
Il ne suffira pas de proclamer que la politique menée actuellement désagrège notre société alors que celle ci a besoin pour réussir de solidarité, et que la France n’a jamais fait face aux difficultés autrement que quand elle était unie. Ce discours pourrait paraître incantatoire, et somme toute conservateur, s’il n’ose pas remettre en cause les paramètres sur lesquels nous fonctionnons depuis trop longtemps, tous gouvernements confondus. Il faut aller plus loin et inventer une nouvelle logique de renforcement de notre cohésion sociale et de notre capacité économique : tout à la fois plus audacieuse (pas une énième adaptation de nos interventions passées) et compatible avec les intérêts des entreprises.
Il faut oser un nouveau contrat social, en refondant le contrat de travail pour que l’emploi à statut précaire devienne l’exception, en moralisant les revenus des entrepreneurs (pas de ponction anormale quand l’entreprise va mal et que les salariés en supportent les difficultés) et en revoyant profondément les dispositifs d’accompagnement individualisé dans l’emploi au profit d’une logique plus collective du soutien à l’emploi dans l’entreprise.
C’est de cette manière que l’on peut redonner de l’espoir, de la cohésion et de la solidarité à la collectivité du travail, et par là même une efficience économique.
1. Une nécessité
Nous sommes au bord de l’explosion sociale et n’auront pas de marge de manœuvre financière.
Depuis plus de 20 ans, nous avons empilé des dispositifs de soutien à l’emploi : ces dispositifs, utiles, en dépit des inévitables effets d’aubaine et d’éviction, ont aussi participé d’un changement général de paradigme : aujourd’hui c’est l’emploi précaire qui est devenu la norme de référence.
Pris entre la réalité du chômage d’un côté, d’une succession d’emplois précaires de l’autre, il devient impossible de construire un projet d’avenir pour soi-même et sa famille : logement, prêts bancaires en sont rendus plus difficile d’accès.
A cette déstructuration de la société est venue s’ajouter, dans la gestion du gouvernement actuel, l’idée que les avantages donnés aux plus fortunés se traduiraient par un effet retour sur l’économie, et une stigmatisation de catégories d’exclus vite assimilés à des privilégiés vivant de l’assistance. La concomitance des deux, les écarts grandissants, accentuent un sentiment profond d’injustice.
Cette fragmentation de la société, ce climat de peur et de repli sur soi, nous rendront plus démunis en cas d’aggravation de la situation. Imaginons une nouvelle crise financière, imposant cette fois à notre pays des mesures drastiques , comme ce fut le cas de la Grèce, de l’Espagne ou du Royaume Uni, qui devront être d’effet immédiat; imaginons des prestations sociales taillées dans le vif sans la moindre réflexion amont d’une nouvelle équation économique et sociale ; imaginons aussi des réactions violentes, désespérées, d’une population à bout et n’acceptant plus de nouveaux
sacrifices quand les inégalités se sont encore renforcées.
Pour nous préserver d’une telle évolution, c’est le message d’une rupture réelle mais solidaire et généreuse qu’il faut rendre lisible et crédible.
Des axes et marges de manœuvre ont été évoqués : réforme fiscale rééquilibrant part du capital et du travail, et nouvelle catégorie de contrats. Ce sont des outils nécessaires mais qui ne peuvent suffire à recréer confiance et nouvel élan, montrer que les choses vont profondément changer afin que soit créé un autre équilibre où chacun ait sa place, dans le cadre d’une collectivité ressoudée.
Il faut aller plus loin et proposer un engagement de législature autour de la fin du travail précaire sauf exception justifiée par la spécificité économique.
Cette orientation devra être économiquement cohérente, sans pour cela remettre en cause les droits et protection des salariés en cas de licenciement, dont il est absurde de dire qu’ils seraient les ennemis de l’emploi. C’est donc une voie tout à fait différente de celle du contrat de travail unique, remise au goût du jour récemment par l’Association Nationale des DRH qui doit être imaginée.
Pour donner du sens à un discours de cohésion nationale, sociale, républicaine, il faut redonner à nos concitoyens, et particulièrement aux jeunes et ceux qui retrouvent un emploi, la possibilité de s’inscrire dans la durée et d’avoir un projet de vie pour eux et leur famille.
2. Comment traduire un tel objectif ?
Il ne faut rien s’interdire et avoir à l’esprit que ce qui nous parait irréaliste sera demain banalisé. Des réformes qui nous paraissent aujourd’hui déraisonnables seront bientôt exigées par une pression sociale soudaine, comme les exemples grecs, espagnols, en sont le premier témoignage. Et rien ne serait pire que de réagir sous la pression parce que le pacte social et républicain aurait été, dans les faits, rompu.
En terme de méthode, il faut donc imaginer de nouvelles voies, tracer des objectifs politiques, y travailler avec des dirigeants d’entreprises de toutes dimensions et secteurs d’activités, les cercles de réflexion patronaux les plus ouverts, les organisations syndicales, et examiner ce qui, d’un point de vue économique et de vie dans l’entreprise, peut constituer l’axe d’un nouveau compromis acceptable en vue d’un tel contrat de législature.
De façon très schématique, on trouvera ci dessous trois premières pistes présentées de façon sommaire, mais qui pourraient déjà être explorées pour y mener ce travail itératif.
• Neutraliser l’inconvénient du CDI au regard de l’emploi précaire, pour le rendre
attractif.
Dans la période actuelle où l’emploi stable recule, la protection que donne le CDI est régulièrement incriminée. Avatar récent, l’association Nationale des DRH vient de présenter un dispositif de contrat de travail unique, à durée indéterminée, se substituant à de nombreux dispositifs existants. Si l’objectif de simplification est louable, la contrepartie d’une flexibilité accrue et d’une moindre protection dans le dispositif de licenciement suscite à juste titre des réactions syndicales très hostiles, car il s’agit somme toute de renoncer à des statuts d’emplois précaires en .. précarisant le
contrat de référence qu’est le CDI .
Cette voie doit être écartée. C’est une orientation différente qui doit être envisagée, associant pleinement logique économique et cohésion sociale.
Les entreprises recourent à des contrats à durée déterminée ou de travail temporaire, alors qu’ils sont plus couteux que le contrat à durée indéterminée puisqu’ils donnent lieu à une prime de précarité ; celle ci est parfaitement intégrée et tolérée dans l’économie de l’entreprise, car on a recours à ce type d’emploi quand on a.. les moyens d’embaucher.
Ce qui peut inquiéter dans le CDI, dans une période d’incertitude, c’est le poids potentiel de la dette sociale en cas de licenciement pour cause de difficultés économiques. En effet, les obligations pesant sur l’entreprise au moment où elle
manque précisément de ressources peuvent précipiter le dépôt de bilan. Au plan économique et social la situation est absurde : l’on a peut être laisser passer une occasion pour l’entreprise de surmonter des difficultés conjoncturelles, et on externalise sur la collectivité le coût et la responsabilité du licenciement lorsque celui ci devient géré par l’administrateur judiciaire.
Pour changer de logique, une nouvelle piste pourrait être explorée et expertisée : neutraliser en amont le cout de ce licenciement éventuel.
Dès lors que les prélèvements obligatoires pesant sur le travail diminueraient, ce qui serait le cas dans le cadre d’une réforme fiscale, il s’agirait de construire un système, obligatoire, où le coût du contrat intègrerait ce risque de licenciement éventuel, soit par provision liée au contrat, soit par un système de provision globale dans l’entreprise.
Une telle économie permettrait de donner au CDI une économie guère différente de celle du CDD et sa prime de précarité, et par conséquent de le rendre plus attractif.
Reste bien sur à savoir ce que l’on fait de ces provisions si on.. ne licencie pas.
Passer d’un système de déduction de cotisations sociales assises sur l’accompagnement individuel du contrat à une logique collective
L’empilement des emplois aidés rend le système peu compréhensible par les petites entreprises. Il est aussi une incitation implicite au licenciement une fois disparu l’avantage fiscal ou social lié au contrat.
Ne pourrait on simplifier le système et lui donner une approche collective ? Un avantage fiscal, une diminution de cotisation, ne pourraient ils intervenir en fonction de la structure de l’emploi de l’entreprise, au regard de certains objectifs sur les catégories que l’on souhaite cibler (salariés non qualifiés, formés, jeunes, seniors, etc.) ? Un peu comme les cotisations d’accidents du travail au travers d’un système de bonus fonction des résultats de entreprise.
C’est un travail d’expert à ouvrir à partir de cas pratiques.
• La rémunération des dirigeants
Il faut absolument que notre pays ressente profondément l’idée d’un effort partagé, et en tout état de cause une exigence d’éthique et de morale.
La rémunération des dirigeants ne devrait pas être supérieure à un multiple (à définir), de la rémunération du cadre le mieux payé, le reste étant en part variable, ce qui éviterait des revenus exorbitants et identiques quels que soient les résultats.
Il ne s’agit là que de premières idées, qu’il faut expertiser pour en cerner les effets induits, et rendre l’objectif possible. Celui ci est ambitieux : une société économique et sociale plus solidaire et par conséquent plus performante, ayant remis l’individu et sa dignité au cœur de la chaîne de valeur économique et sociale.
Il faut utiliser l’année qui vient pour faire mûrir cette approche en s’imprégnant des expériences de terrain, et se garder des logiques technocratiques et d’experts qui enfermeraient d’entrée de jeu tout nouveau schéma.
En cas d’adhésion à cette orientation, il faudra enfin éviter d’arriver avec un dispositif totalement cadré et imposé. Là aussi la rupture avec les méthodes de gouvernance actuelle s’impose. En revanche, et à partir des solutions diverses qui auront été explorées, il sera possible de travailler à la concrétisation de ce nouveau paradigme en organisant le débat à partir du second semestre 2012 avec les partenaires sociaux, et proposer un contrat de législature ambitieux.
Maxime Berger